mercredi 12 août 2020

LIBERATION QUITTE ALTICE : un FONDS DE DOTATION PEUT-IL GARANTIR L’INDEPENDANCE D’UN QUOTIDIEN ?

 


Le 15 mai 2020, le groupe Altice a souhaité se séparer de Libération, en le logeant dans un fonds de dotation. Le Fonds est créé pour assurer la pérennité financière et l’indépendance éditoriale du quotidien. Mais le Fonds de dotation, structure autonome conçu sur le modèle de la Fondation, garantit-il vraiment l’indépendance d’un média ?

Les dirigeants d’Altice se sont peut-être inspirés d’une précédente initiative de Médiapart. Ce dernier avait l’an passé cédé 100% de son capital à un fonds de dotation, le « Fonds pour une Presse libre ». Le Fonds fut autorisé par arrêté paru le 14 septembre 2019 au Journal Officiel. Il a pour but de protéger et pérenniser l’indépendance éditoriale de ce média. Ce dernier devait devenir « non achetable » comme l’indiquait un dirigeant. Et ce, pour éviter toute prise de contrôle du journal par des intérêts économiques privés.

Mediapart a effectué sa transformation par la création d’un fonds de dotation. Ce fonds a pu être qualifié de « structure non capitaliste » comme l’indiquait l’un de ses responsables. Mais il reste une structure capitalisée. En effet, il comporte une dotation de 15 000 € au moins. Le fonds possède 100 % des parts de la SPIM, Société pour la protection de l’Indépendance de Médiapart, elle-même propriétaire du media. Le journal numérique devait donc devenir “incessible, inachetable, inspéculable” selon une fondatrice.

L’idée de Mediapart s’inspirait à son tour du trust créé outre-Manche dès 1936 pour le journal The Guardian, le « Scott Trust Limited ». Ce « trust » se vit transférer toutes les actions de la société propriétaire du titre. L’objectif était là encore, de garantir et pérenniser l’indépendance financière et éditoriale du Guardian.

De fait, le capital d’un fonds de dotation n’est pas constitué de parts sociales, ce qui lui confère une totale indépendance. Le fonds de dotation ne peut être racheté.

Pour autant, faut-il conclure, avec un article du 24 juillet 2019 de L’Oeil de la Maison des Journalistes, que le média logé dans un fonds de dotation devient de ce fait « incessible, inachetable, inspéculable » ?

Contrairement à ce qu’affirme l’article, le recours au fonds de dotation pour loger un journal ou un média, ne garantit en lui-même une totale pérennité et indépendance qu’à certaines conditions.

Certes, le fonds de dotation dispose d’un capital (dotation) qui peut être inaliénable. Il peut comprendre tous types d’actifs, notamment les parts sociales de la société de presse, voire directement le journal lui-même. Le fondateur peut entendre doter substantiellement le fonds de dotation. Ceci, afin de permettre au quotidien de rembourser ses dettes et financer son activité à l’avenir.

Le Fonds de dotation pourra collecter des dons du public, en principe déductibles des revenus des donateur. Cette incitation fiscale est permise à condition du caractère d’intérêt général de l’objet du fonds de dotation. Cet objet est distinct de celui du journal.

Mais le journal lui-même ou les parts de la société qui en est propriétaire, pourront dans certains cas être cédés. A moins de clauses statutaires contraires d’inaliénabilité et impossibilité de modification ultérieure des statuts sur ce point. Une telle modification de statuts peut être votée par les administrateurs du fonds, à des majorités variables.

De même, la pérennité et l’indépendance du quotidien ne sont pas absolument garanties. Ces impératifs dépendent de mentions statutaires spécifiques qui peuvent ou ne pas figurer dans les statuts du fonds de dotation.

Médiapart avait souhaité pallier cette absence de certitude. Il avait donc créé une Association du Droit de Savoir (ADS), afin de sécuriser le dispositif mis en place par le média. Il disposait d’un droit de veto sur toutes les modifications de statuts du Fonds et de la SPIM.

Mais une telle association ne peut elle-même jouer ce rôle de verrou qu’à certaines conditions statutaires. Elles concernent notamment les modalités de dissolution. Dans ce cas, l’actif net de l’établissement ne peut être dévolu qu’à certaines personnes morales, selon des règles spécifiques

Aussi les dispositions statutaires d’un fonds de dotation créé pour garantir l’indépendance et la pérennité d’un organe de presse doivent-elles être rédigées avec une attention toute particulière. Il reste à voir si le Fonds de dotation pour « Libération » remplit bien ces critères.


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